L’Habitat ailleurs: La Guyane

La Guyane est un des quatre départements français d’Outre-mer. Petit bout de France incrusté dans le continent sud-américain, elle est terre de métissage. Ce territoire, qui accueille en effet des populations plus qu’hétérogènes, est couvert à près de 90% par la forêt amazonienne. C’est donc sur le littoral que se concentre tout naturellement la grande majorité des habitants de ce DOM.

Les Créoles sont les plus nombreux sur la côte à la différence des habitants de l’intérieur, beaucoup moins nombreux, ce sont en majorité des Amérindiens (populations autochtones) et des Noirs-Marrons (descendants d’esclaves africains enfuis des plantations de la côte). Mais depuis les années 70, des communautés H’mongs venant d’Asie se sont installées dans la forêt, plus ou moins bien accueillies par les populations amérindiennes et noires-marronnes.

Ces populations amérindiennes et noires-marronnes, qu’elles soient parties pour la ville ou restées dans la forêt, sont les plus vulnérables. Leurs modes de vie traditionnels sont en pleine évolution vers une modernisation et une occidentalisation de plus en plus poussées.

Dans ce phénomène, le bâti occupe une place de choix. Il est tout à la fois cause et conséquence de la transformation du mode de vie. Conséquence, par exemple, d’une monétarisation trop rapide de sociétés qui n’y étaient pas du tout préparées et qui n’avaient, jusqu’à il y a peu, quasiment aucun contact avec l’économie de marché, conséquence aussi du fort désir de « calquer » le mode de vie occidental… Et en même temps cause, parce que partiellement responsable du bouleversement de l’organisation spatiale, de la disparition des cadres sociaux traditionnels, du changement du rapport à autrui.

Le bâti, et en particulier le logement, joue donc un rôle important dans la vie de ces communautés amérindiennes et noires-marronnes chez qui les modes d’habiter sont en pleine mutation.

Mode d’habitat traditionnel

Chez les amérindiens

Les Amérindiens sont les « premiers » habitants de Guyane, les colons, en arrivant, les ont repoussés vers l’intérieur des terres, où ils sont encore. Cette population n’est pas une entité : elle est composite. Les Amérindiens appartiennent en effet à différentes tribus dont les Wayampi et les Emerillon qui vivent plutôt du côté de l’Oyapock, le fleuve séparant la Guyane du Brésil, ou encore les Wayana qui eux se sont installés sur le Haut-Maroni. Chaque ethnie a ses propres coutumes et surtout son propre mode d’habiter.

Chez les Wanapa, le père s’occupe de ses enfants et la filiation patrilinéaire est privilégiée. Ainsi, ce sont les matrilignages qui se trouvent rassemblés dans l’espace du village. La famille est donc étendue et se compose d’une femme, de son mari, de ses filles et gendres, des enfants de ses filles et de ses fils non mariés. Le village, de forme circulaire, regroupe l’ensemble de ces unités familiales. Au centre, se trouve un grand carbet communautaire rond : le tukusipan. Cette disposition de l’espace serait l’héritage d’une époque où tout le village occupait une seule case ronde, les familles se répartissant l’espace. Beaucoup d’unités villageoises ne comptent, encore aujourd’hui, qu’une famille élargie.

Traditionnellement chaque village est administré par un chef, le tamusi, secondé par l’empatakai. C’est le chef qui est sensé fonder le village et l’organiser mais il ne fait souvent que conseiller, car chez les Wanapa tous les hommes sont égaux.

Les villages amérindiens sont peu stables et ont souvent tendance à se fractionner. Semi-nomades, ils se déplacent en général tous les six ou sept ans. Les causes de l’abandon du site initial peuvent être multiples : épuisement des terres agricoles qui entourent le village (les abattis), décès ou maladies trop fréquentes, mésentente de membres du village… 
La rivière est un élément très important dans un village amérindien, c’est là où l’on se lave, où l’on pêche, c’est la seule voie de circulation et permet donc aussi l’échange avec les autres villages du voisinage. Ce rapport à la rivière est le même chez les Noirs-Marrons.

Chez les noirs-marrons

Les Noirs-Marrons, issus de populations africaines très diverses, n’ont pas reconstitué leurs formes antérieures de culture. Ils sont à l’origine de véritables créations sociales fondées sur l’amalgame de traits culturels africains influencés par les institutions coloniales qui ont pesé sur leurs ancêtres. Ils vivent traditionnellement dans la forêt où ils cohabitent généralement sans problème avec les Amérindiens. Comme eux, ils font partie de différents « groupements » : les Boni, les Djuka, les Paramaka qui se sont installés le long du Maroni, les Saramaka qui ont souvent préféré le littoral…

Au contraire des sociétés amérindiennes, celles des Noirs-Marrons suivent le principe de filiation matrilinéaire : la mère transmet la parenté et forme avec ses enfants l’unité économique de base du village. Chaque lignage constitue souvent un village à lui seul mais lorsqu’il devient trop important, une partie des villageois peut aller s’installer à proximité, formant ainsi une seconde formation indépendante, mais toujours très liée à la première.

Le village se divise en différentes zones, chacune occupée par une unité matrilinéaire que l’on appelle le mamapiki et qui se compose de la mère et des enfants, des oncles et tantes maternels, de leurs enfants, de la grand-mère et des cousins et cousines maternels. Un mamapiki, qui peut être aussi un village à lui seul, forme une unité sociale à part entière occupant un pisi de forme circulaire dont le centre est la maison de l’aïeule fondatrice et la cuisine communautaire. Les cases y sont peu éloignées les unes des autres (environ 4 mètres).

Il n’y a pas de séparation géographique entre les mamapiki car toute division de cet ordre pourrait altérer le système de parenté classificatoire qui considère que tous les hommes et les femmes séparés par un même nombre de générations de la grand-mère fondatrice s’appellent frères et sœurs. I

Il existe aussi une organisation spatiale des cultes. Ainsi on trouve dans chaque village, voire dans chaque groupe, si le village regroupe plusieurs clans : une chapelle pour chaque type de divinité, un carré de terre plantée de deux branches formant un T qui sert au culte des ancêtres et un carbet mortuaire où les morts sont veillés avant d’être enterrés.

Rapport collectif à la terre

Il est impossible de parler de notion de propriété telle qu’elle existe dans le droit positif français chez les Amérindiens et les Noirs-Marrons, qu’il s’agisse de propriété du bâti ou du terrain. Il n’existe, en effet, pas de droit coutumier ayant trait à l’habitat. La terre est à celui qui la défriche et se construit une maison dessus. Les Amérindiens sont, pour leur part, parfaitement capables de délimiter leurs territoires, y compris en ce qui concerne les zones de chasse, mais les terres appartiennent au village ou au clan. D’ailleurs l’exploitation des terres agricoles se fait collectivement. Les problèmes fonciers comme l’apparition du concept de propriété ou la division en parcelles des terrains sont apparus avec l’évolution des modes de vie.

La maison : techniques de construction et usages

Organisation intérieure et usage du bâti

Le carbet amérindien ne possède pas de cloison et les portes de la case noire-marronne ne sont fermées que la nuit. La maison est donc un espace ouvert sur l’extérieur dans les deux cas, du moins pendant la journée. Les habitations comportent en général deux espaces, l’un servant de chambre à toute la famille, l’autre étant une « pièce » de jour, un foyer y permet la préparation et la prise des repas. Cet espace est généralement à rez-de-sol, soit sous la pièce commune si c’est un carbet sur pilotis, soit dans une autre construction à proximité.

Chez les Wayana, on peut ainsi trouver des carbets de forme ovale ou ronde surmontés d’un toit conique. A l’étage, des hamacs sont accrochés autour d’un foyer, le bas est réservé à la vie diurne. Il existe aussi un carbet cuisine communautaire qui est une petite maison sans paroi destinée à la confection des repas, il constitue un lieu de sociabilité privilégié pour les femmes du clan.

La maison des Indiens Arawak de Sainte Rose de Lima (Matoury) se divise aussi en deux pièces distinctes. La partie avant est le domaine des hommes, et celle de derrière, là où se trouve le foyer, est celui des femmes. Un petit carbet, vraisemblablement communautaire, est utilisé pour la cuisine.

Les Noirs-Marrons connaissent traditionnellement la notion de pièce au contraire des Amérindiens mais le volume habitable est très petit, la plupart des activités domestiques se déroulant dans les espaces communs de voisinage. La maison traditionnelle est composée d’un seul volume divisé en deux par une cloison. La partie avant sert d’espace de rangement et de vestibule en même temps, la partie arrière est une chambre à coucher, les hamacs en sont le seul mobilier.

Dans les cases sur pilotis, le rez-de-sol sert de cuisine et de lieu de réception. On y trouve souvent des hamacs et des bancs, lorsque la maison est de plain-pied, c’est un auvent qui remplit ces fonctions. Ici aussi un carbet communautaire appartenant au mamapiki sert de cuisine et abrite un foyer et des platines à couac.

Les femmes et les enfants y passent beaucoup de temps dans la journée. Ces constructions, qu’elles soient amérindiennes ou noires-marronnes, sont aussi adaptées au climat et donc aux modes de vie qui en découlent.

Techniques de construction traditionnelles

Que ce soit chez les Amérindiens ou les Noirs-Marrons, qu’ils vivent dans l’Oyapock, dans le Haut ou le Bas-Maroni ou encore près du littoral, chaque ethnie a utilisé pour bâtir ce que lui offrait le milieu. Quasiment toutes les constructions sont donc en bois.

Le bâti est adapté à la morphologie des habitants. Les membres de certaines ethnies amérindiennes ne dépassant pas 1,60 m pour les hommes et 1,45 m pour les femmes, les hauteurs sous plancher dans le cas des carbets sous pilotis sont donc de 1,70 m à 1,80 m, ce qui permet d’aménager des espaces de rangement accessibles sachant que presque tout est suspendu. Quant aux dimensions horizontales, elles doivent leur origine à la taille des hamacs, ainsi une largeur de 3 m à 3,50 m est ce qu’il y a de plus courant.

La construction est également bien adaptée au climat. Très souvent, le niveau supérieur bénéficie d’une ventilation maximum, le pignon n’a guère besoin d’une protection du fait de l’implantation tenant compte de la direction des vents dominants et du régime des pluies.

Chez les Amérindiens de l’Oyapock, la structure de la maison est toujours faite de bois rond assemblé par des lianes. Les essences les plus couramment utilisées sont le mécoua (imputrescible et résistant aux insectes, il est employé comme poteaux directement plantés dans le sol), le mamayawé (plus léger et de grande longueur, il permet de faire des solives et des pannes faîtières solides) et le wasaï (refendu, il est utilisé dans la confection de planchers), les couvertures étant faites en feuilles de waï. Le waï, très léger, ne nécessite qu’une charpente qui ne l’est pas moins et l’utilisation de bois de très faible diamètre, donc flexibles, permet une grande liberté de forme.

Les Wayana du Haut-Maroni n’ont pas un seul type de construction mais le mode de construire est assez semblable de celui des Amérindiens de l’Oyapock. Cependant, des différences de technique et de volumétrie du bâti particularisent le savoir-faire de chaque ethnie. Ainsi, les Wayana font des carbets proches de ceux des Wayampi, avec des toitures en absides. Les essences de bois utilisées ne sont pas les mêmes, mais elles présentent des caractéristiques mécaniques semblables.

Les Arawak installés près du littoral utilisent, quant à eux, du balhadan pour les pannes principales et du alhalha pour les pannes secondaires et les chevrons. Cette structure repose sur un toit en feuilles de palmier timiti. La fumée du feu toujours allumé dans le carbet laisse une fine pellicule marron qui les protège. La durée de telles maisons est d’environ une quinzaine d’années.

Traditionnellement la maison Boni peut être de trois types. Dans les zones non inondables, la maison est de plain-pied sans paroi latérale, le toit descendant jusqu’au sol. La porte est souvent peinte et ornée d’objet fétiche évoquant la qualité de l’habitant. Plus récemment, des cases ont été faites avec des cloisons en planches, elles sont peu décorées.

Le troisième type de construction est sur pilotis, le plancher étant à 1,70 m du sol. La partie inférieure est souvent prolongée d’un auvent qui permet de se tenir au frais dans la journée. La charpente est très proche de celle des carbets Amérindiens, cependant les différentes pièces sont assemblées par des chevilles et non plus par des lianes.

Les méthodes de constructions s’apparentent plus à celles des Amérindiens qu’à celles rencontrées en Afrique. La terre est par exemple très peu utilisée par les Noirs-Marrons, c’est le bois qui constitue l’élément fondamental de l’art de bâtir. Les maisons sont traditionnellement très décorées. Peintes, marquetées et sculptées, les façades sont le support de motifs géométriques dont la femme est la source d’inspiration privilégiée.

La maison ne possède pas de dépendance car les récoltes et le matériel agricole restent dans des petits carbets construits sur l’abattis.

Ces modes d’habiter traditionnels ont aujourd’hui bien évolué, certaines coutumes qui régissaient l’organisation spatiale ont même presque disparues. Ces populations qui vivaient quasiment en autarcie jusqu’aux années 1960, ont été mises en contact avec la société très occidentalisée des Créoles et celle encore plus en décalage des occidentaux eux-mêmes. L’attirance pour ce mode de vie qui paraît plus « confortable » entraîne certaines dérives de la part de ces ethnies de moins en moins isolées, quand ce ne sont pas des erreurs commises par l’administration soucieuse pendant longtemps d’appliquer des normes et des règles non adaptées aux spécificités locales.

Auteur de l’article : Mickael Cantello

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