L’Habitat ailleurs: Vénézuela – Les Piaroas

Peuple indigène, anciens chasseurs cueilleurs agriculteurs semi-nomades, les Piaoras vivent majoritairement au Vénézuela (environ 12 000 individus), dans l’état de l’Amazonas entre le rio Parguaza, le rio Venturi et le rio Manapiare sur la rive droite de l’Orénoque. Ils sont présents en plus petit nombre en Colombie (environ 600 individus), et vivent dans les réserves du sud du département du Vichada entre le rio Vichada et le rio Guaviare.

Organisation sociale

En voyant la concurrence comme spirituellement mauvaise et en louant la coopération, les Piaroas sont à la fois fortement égalitaires et soutiennent l’autonomie individuelle. Ils sont également fortement anti-autoritaires, conscients de l’importance de veiller à ce que personne ne soit sous les ordres d’un autre et s’opposent à la thésaurisation des ressources, qu’ils considèrent comme donnant aux membres le pouvoir de contraindre leur liberté.

Ils sont aussi considérés comme l’une des sociétés les plus pacifiques du monde, l’assassinat étant un concept qui est à la fois inconnu et tout à fait inexistant. L’anthropologue Joanna Overing note également que la hiérarchie sociale est minime et qu’il serait difficile de dire si une forme de domination masculine existe, bien que les dirigeants soient traditionnellement masculins.

Concernant le rapport entre les sexes, les Piaroas pensent que le repas idéal est composé de viande et de pain de manioc, le produit de la chasse d’un homme et du jardin d’une femme. Leur idéal, tant pour les hommes que les femmes, c’est la tranquillité et le contrôle de maîtriser ses émotions. Pour eux, la maturité masculine est la capacité à coopérer tranquillement avec les autres dans la vie de tous les jours, ils considèrent comme odieux les tempéraments arrogants et dominants.

Les décisions touchant la communauté sont prises par consensus. En conséquence, les Piaroas ont été décrits par certains anthropologues comme une société anarchiste fonctionnant réellement.

Chaque territoire est composé de 6 à 7 maisons communes avec son propre chef de territoire, « ruwang »  qui est un homme de connaissance s’occupant des forces de destruction et de régénération des mondes.

Ne supportant pas les règles sociales, chacun est maître de son lieu de résidence, de son travail, de son développement personnel, et même de son mariage. La notion de société est très importante à leurs yeux, même si l’individualisme leur permet de ne rien abandonner à la communauté, ce qui révèle une grande liberté.

Depuis un peu plus de trente ans, les Piaroas ont cessé de vivre en petites communautés mobiles et reculées pour s’installer dans des centres sédentaires de plus en plus importants, au voisinage de missions ou de villes et villages.

Aujourd’hui, les Piaroas qui ont migré en aval de leurs rivières sont plus métissés. Ils vivent dans des communautés nucléées et sédentaires, ne portent plus leurs costumes traditionnels et ont adopté les religions occidentales. Ils sont intégrés dans le commerce régional et ont des contacts fréquents avec les peuples créoles. Ils sont considérés comme des partenaires fiables dans l’Amazonie vénézuélienne et l’activité agricole est une caractéristique déterminante de la sociologie de ce groupe. Toutefois, leur production très diverse comprenant différents outils, de la nourriture, des ornements, des biens rituels, des résines et colorants, s’est limitée aux produits agricoles exigés par les populations indigènes (fruits et manioc principalement).

Habitat

Dans les traditions ancestrales, l’habitat était dispersé et les piaroas vivaient à l’état semi-nomade. Les communautés se regroupaient dans une seule maison communautaire au toit de chaume en feuilles de palmier qui touchait le sol.

Les maisons collectives étaient soit conico-rondes et pouvaient abriter jusqu’à 100 personnes, soit elliptco-coniques et elles abritaient alors 40 personnes, ou bien rectangulaires et là, y habitaient 15 personnes.

L’intérieur des churuatas ne possède pas de structures pour séparer les membres de chaque famille. Elles ont chacune leur zone d’occupation déterminée pour y stocker ses effets, les hamacs ainsi qu’un foyer pour cuisiner.

Tous les habitants de la churruata sont libres d’utiliser la zone centrale pour se rassembler pour les rituels, faire de l’artisanat ou divertir les invités. Les maisons sont souvent installées dans une clairière, au pied d’une colline, près d’un ruisseau éloigné des cours d’eau importants. Au bout de cinq ans, les sites sont abandonnés afin de permettre à l’environnement de se régénérer.

Tenue vestimentaire

Les hommes comme les femmes portent des pagnes tissés en coton récolté dans leurs plantations, le guayuco. Leurs corps sont ornés de couronnes de plumes, de bracelets et de colliers. Les colliers sont constitués avec des dents d’alligator et de pécari enfilées avec des plumes multicolores. Les peintures corporelles représentent des graphiques de la connaissance des rituels, elles sont appliquées grâce à des timbres en bois de différents modèles et tailles, comme une sorte de tampon.

Agriculture/chasse/pêche/cueillette

L’agriculture est dite itinérante, elle est complétée par la chasse, la pêche et la cueillette qui leur permettent de vivre en autosuffisance. Ils connaissent de nombreuses espèces sauvages de leur environnement et cultivent d’autres espèces en alternant les cultures pour ne pas épuiser les sols et en pratiquant le brûlis pour fertiliser le terrain. Chaque famille ouvre annuellement par brûlis un demi-hectare de forêt primaire et secondaire. La parcelle est abandonnée au bout de 4 ans pour une jachère de 15 ans et plus. Une partie de la production agricole est vendue : les sous-produits du manioc, des ananas, des bananes….

Un droit d’usufruit est reconnu à qui travaille la terre sans possibilité de transmission. C’est le chef de chaque maison collective qui est responsable du maintien de la fertilité du territoire qui l’entoure

Division des tâches

Comme chez de nombreux peuples indigènes, les tâches sont partagées comme suit :

Hommes: coupe de la forêt pour créer les jardins, plantation des cultures qu’ils utilisent : tabac, capi, drogues, poisons, plantes magiques, chasse, une grande partie de la pêche, construction des maisons, vannerie, poterie, tâches religieuses.

Femmes : toutes les cultures vivrières : manioc, patate douce igname, désherbage, tissage.

La chasse

La sarbacane avec les fléchettes empoisonnées au curare est utilisée ainsi que la lance, le gourdin et le couteau, les collets ou les pièges englués. Mais le fusil, à présent, est devenu l’arme privilégiée. Parfois un chien de chasse les accompagne.

Tous les animaux sont chassés sauf ceux qui sont sacrés : anaconda et tapir.

La loutre, l’opossum, tous les félins et les chauves-souris, vautours, aigles et serpents venimeux ne sont pas chassés non plus.

Les proies favorites sont les pacas, les pécaris, les cervidés, mais aussi les oiseaux, les singes, les écureuils, les martres, les coatis, les paresseux, les porcs-épics, les tamandous.

Le chant du chaman avant la chasse est un rituel important pour la réussite des chasses.

Le curare

Le nom indien du curare veut dire «  mort qui tue tout bas ». Explication :

L’animal touché par une petite fléchette n’y prend pas garde et ne donne pas l’alerte à ses congénères. La moindre blessure, si minime soit-elle peut-être fatale, alors qu’une blessure par balle ne l’est pas forcément, de plus l’animal touché par une arme à feu s’enfuira, même sérieusement blessé, pour aller mourir plus loin, hors de portée du chasseur qui rentrera bredouille. L’animal tué par le curare est tout à fait comestible sans risque d’intoxication pour le consommateur car le poison est inactif par voie digestive, tout au plus certains Indiens éliminent-ils la partie du gibier touchée par la flèche.

Enfin, de par le mécanisme d’action des curares, l’animal touché sera paralysé et ne pourra s’agripper aux branches, il tombera à terre de lui-même et le chasseur n’aura plus qu’à le ramasser, tandis que le gibier tué par balle reste souvent pendu aux branches dans les spasmes de l’agonie et ce, parfois à vingt ou trente mètres du sol !

La pêche

Elle se pratique dans les ruisseaux, les étangs et les rapides : poissons, crustacés, vers, reptiles sont pêchés. Ils préfèrent pêcher en eaux noires au lieu des eaux blanches.

Ils utilisent l’hameçon, le harpon, l’arc avec des barrières, des nasses et aussi la nivrée (empoisonnement d’une section de rivière avec une liane toxique pour les poissons).

L’éducation

C’est le chaman qui apprend aux enfants la responsabilité personnelle, l’autodiscipline, le respect d’autrui vers l’âge de 6/7 ans. Il leur enseigne la façon d’éviter les querelles, de contrôler la jalousie, l’arrogance, la méchanceté, la malhonnêteté, la vanité et la cruauté.

Ils doivent savoir que les émotions et les désirs peuvent être également contrôlés afin de préserver leur libre-arbitre et respecter les autres. Il n’existe pas de punition physique pour les enfants. Aux fautifs, on applique le silence. Les enfants n’ont pas de modèles de comportement violent ou coercitif, leurs jeux sont vigoureux et remplis d’énergie mais, pour autant, il n’existe pas de compétition, ni d’expression de colère. Les décisions personnelles sont respectées mais l’ambition est découragée.

Le chamanisme

Presque tous les adultes sont chamans à différents degrés, mais seulement deux d’entre eux peuvent guérir et offrir une protection spirituelle .Il existe deux sortes de chamans, le menyeruâ ou meñura (chanteur) et le mâritû (tueur de märitü, les esprits qui causent la maladie

Les maladies peuvent être causées soit par une infection en consommant la chair des animaux qui contiennent des cristaux invisibles envoyés par les märitüs. Ou elles peuvent être données par les mâritüs parce que l’indien a enfreint un tabou ou les valeurs de la société.

Les plantes des rituels chamaniques

Les pratiques chamaniques comprennent l’utilisation de plantes endémiques et traditionnelles, de substances psycho actives comme le tabac ou jatte (nicotiana tabacum). Le dä’dä (malouetia flavescens) provoque un changement radical de l’esprit qui est exalté par la transe (maripä), il crée un esprit magique qui peut voir ce qui n’a jamais existé et donne accès à des mondes au-delà des cieux. Le dä’dä permet de créer de nouvelles choses et donne à l’homme la puissance des dieux.

Le capi (banisteriopsis caapi) est aussi très utilisé ; mélangé à d’autres espèces il donne l’ayahuasca, boisson hallucinogène. L’utilisation d’ayahuasca permet de comprendre l’invisible et restaurer l’ordre naturel des choses.

Le yopo ou yuhua (ou bien encore niopo – anadenanthera peregrina). Il s‘agit d’un mélange de graines pétries et fermentées, de farine de manioc et d’un coquillage broyé du genre ampullaria. Durci au feu, ce mélange est conservé sous forme de petits gâteaux. Ils le portent sur eux dans la cavité de longs os de jaguar transformés en étuis et ornés de plumes de toucan.

Pour s’en servir, ils l’aspirent au moyen d’une paille en os double du côté du nez terminée à chaque branche par une boule perforée qui s’adapte à la narine. Cette poudre produit une sorte d’ivresse. L’utilisation du yopo permet la séparation de l’esprit et du corps de sorte que l’esprit peut voler et pénétrer dans les rochers où, alors, il peut voir les choses cachées.

Le guanare

C’est une dent de tapir à laquelle est attachée un morceau de cristal de roche comme un bilboquet. Cette amulette leur sert de garantie dans les échanges qu’ils font avec leurs voisins et leur donne une puissance spéciale. Les amulettes servent également à protéger des maladies.

Musique

Elle est utilisée seulement pour les rituels chamaniques. Les chamans, maîtres du chant, sont souvent les hommes matures ou âgés. Ce sont eux qui enseignent l’art du chant aux novices pendant de longues années d’études. Les chants sont différents selon les situations : pour soigner une maladie, assurer une chasse ou une pêche fructueuse, purifier la viande avant de la manger, demander le soutien d’un esprit protecteur.

Chaque soir et jusqu’à l’aube, les chamans chantent seuls ou par groupe de 2 à 5 participants en prisant du yopo (drogue hallucinogène et stimulante) pour se maintenir éveillés. La flûte de bambou wora imite le grondement du jaguar, d’autres flûtes imitent le cri du toucan ou du singe hurleur.

Un panier-maracca, le morocoto (gros poissons) est utilisé pour la cérémonie (huirane). Il reproduit le bruit des poissons pris dans une nasse de pêche. D’autres maracas sont fabriquées dans des calebasses gravées lorsqu’elles sont encore vertes et décorées de plumes colorées et remplies de graines ou de cristaux magiques (wanali).

Enterrement

Le défunt est roulé dans un hamac, entouré d’écorces attachées avec des lianes. Ce cercueil en forme de fuseau constitue le mavi, c’est grâce à ça que l’on reconnaît les personnes de cette ethnie lors des fouilles.

Croyances

Les Piaroas croient que les dieux antiques étaient violents, avides et arrogants. La religion indigène comprend la croyance en des héros ancestraux et en des esprits bons ou mauvais associés à des éléments environnementaux qui contrôlent la destinée humaine.

L’expérience hallucinogène est l’unique moyen de communication avec le monde des esprits. Un panthéon, constitué de héros et de dieux vivants dans les temps mythiques qui ont créé le monde, a apporté à l’homme la culture et la connaissance de l’agriculture, de la pêche et de la chasse.

Parmi ces dieux on compte Ojwoda’ä, dieu originel, tapir/anaconda, hermaphrodite. Kuemoi, son fils, maître des rivières et des lacs, père de tous les aliments cultivés, créateur du jardinage, de la chasse au curare, du feu. C’est le représentant de la méchanceté dans son côté ridicule et absurde (bouffon). Wahari, son frère, est le maître de la jungle et dieu créateur des piaroas.

De nombreux dieux font partie du panthéon Piaroa. Certains sont des tianawa, descendus de leur résidence céleste pour prendre la forme d’animaux sur terre. Ils sont parfois porteurs de maladies et sont invoqués par les chamans pour guérir ou donner de la force.

Ces divinités sont nombreuses, voici une liste des principales :

Chejeru, la déesse de la fertilité, sœur de Wahari.

Ku’upä, le dieu du tonnerre.

Khaewati, le dieu soleil.

Reyo, le seigneur des animaux de la jungle (sauf du jaguar).

Aje itami, le seigneur des poissons.

Maekira, seigneur des pécaris

Raeuda’ae, le serpent d’eau.

Tuwa’isa (Tuzva’isa), le puma

Yübaku (Yubacka), le jaguar

Muk’a, l’aigle-harpie

Pujäku (Puhaeku), l’ours blanc.

Awiri, le chien de chasse.

Burewe, la grenouille verte.

Jemene Daa, le crocodile.

Mureka, le grand aigle.

Idiyu Daa, la tarentule.

Maeraenaeu, le coati commun.

Rureyei, la guêpe.

Les cérémonies

Le sãr est un festival de danse et de boisson se tenant à la saison des pluies qui réunit les familles voisines.

Le wärime est un rituel complexe et une pratique cérémonielle qui symbolise les origines du monde avec un retour aux débuts de l’humanité qu’il faut réinsérer dans l’activité humaine avec vitalité. Elle a lieu une fois par an pour célébrer l’abondance de la nourriture et des cultures. Ce rituel demande la participation de tous les membres de la communauté ainsi que celles avoisinantes.

D’autres rituels comprennent celui du passage à l’âge adulte à la fin de la saison des pluies et des exorcismes lors de la mort d’un membre de la communauté.

Animaux sacrés

Le tapir est l’incarnation de Wahari le créateur bienveillant des piaroas. Il n’est jamais tué à moins d’une circonstance spéciale et tout est fait pour l’attirer près des plantations. Si le tapir y mange des fruits, les piaoras s’en réjouissent, car c’est signe de bon augure. L’anaconda représente le dieu originel ojwodä’a et il est aussi un animal tabou.

 Le sang

Le sang circulant dans le corps représente l’intelligence et le savoir qui est transmis à chaque partie du corps. Le dieu Wahari ayant donné les maladies en tant que « connaissances » aux animaux, ceux-ci peuvent les transmettre aux humains par leur sang. Il est considéré comme mauvais et ne doit surtout pas tomber sur le sol. Les personnes blessées sont isolées dans la forêt dans un hamac. De même les menstruations des femmes sont aussi dangereuses car elles sont censées contenir tous les poisons que la femme a cumulés durant le mois au contact d’autres personnes. Donc, pendant leurs règles, les femmes sont isolées dans la forêt. Elles accouchent dans les eaux peu profondes des rivières aux alentours des villages.

Les hommes chamans et leurs apprentis se percent la langue avec une épine de raie afin d’éliminer, tous les six mois, les poisons accumulés au contact des autres personnes. Les animaux chassés ne sont pas écorchés, ils sont juste éviscérés sur une pierre dans l’eau de la rivière, puis cuits. A la chasse, les pièges sont préférés aux armes qui font couler le sang, comme la lance, et les animaux sont étouffés.

Les autres excrétions humaines et animales sans exception sont considérées comme porteuses de maladie et potentiellement empoisonnées.

Auteur de l’article : Mickael Cantello

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