L’Habitat ailleurs: La Polynésie française

Ouverture sur la nature, recherche de la fraîcheur, goût pour le bois : le fare traditionnel polynésien a toutes les caractéristiques d’un art de vivre inimitable. Des constructions devenues trop fragiles au regard de la société actuelle, entraînant leur délaissement au profit d’architectures occidentales… Aujourd’hui, le fare traditionnel est l’apanage exotique des hôtels ou des propriétaires soucieux de se réapproprier un « luxe » authentique.

Fare signifie en tahitien «habitation, abri ». A la fin du XVIIIe siècle, selon James Cook, les maisons à Tahiti étaient espacées, aérées. Les Tahitiens aimaient que l’air circule autour d’eux, ce qui, du reste, les rendaient robustes et durs à la fatigue. Ils supportaient la grande chaleur et la fraîcheur quelquefois très sensible de la nuit. 

Un fare traditionnel polynésien était construit à partir des matériaux disponibles sur les îles : pierres volcaniques ou de corail pour paver le sol à l’intérieur et très rarement, pour les murs.

De la terre, du sable et des herbes longues étaient utilisés pour le sol et des cordes de pu¯rau (bourao) ou de bourre de coco servaient d’attaches pour les murs, les cloisons et le toit. Les cannes de bambou, attachées debout en cloisons permettaient de laisser passer l’air et la lumière, tandis que les cannes fendues, martelées en à-plats tressées selon divers motifs, servaient à réaliser des cloisons plus opaques.

Pour la charpente et les pilotis, le bois massif naturel tel que le pu¯rau, le pandanus, ou les arbres fruitiers faisaient de solides constructions. La charpente devait être haute et pentue pour une plus grande résistance du toit au vent et à la pluie. Pour finir, le toit était recouvert de feuilles de pandanus séchées. Un Fare pouvait être ouvert de toutes parts ou n’avoir qu’un côté ouvert, tandis que l’autre, exposé aux vents, était fermé par des nattes.

Le sol, légèrement surélevé, était couvert d’épais matelas de nattes. La construction se faisait sous les directives d’un spécialiste : tahu’a-fare, qui suivait un rituel avant le début de la construction, gardait le premier morceau de l’arbre abattu pour l’offrir aux dieux.

Aujourd’hui, on fait appel à un ta¯muta-fare, charpentier qui fait les plans et dirige le chantier. A la fin du chantier, un des ouvriers confectionne un bouquet de fleurs fraîches et le suspend au toit pour solliciter la protection des dieux, des esprits et remercier les hommes du travail accompli.

DESCRIPTIF DU FARE TRADITIONNEL

La taille habituelle était de 7,2 x 3,6 mètres. Le toit était posé sur 3 rangées de piliers au centre, hauts de 2,7 mètres, ceux des côtés de 1,20 mètre. Le sol était recouvert d’un épais tapis de no¯noha (herbe longue et parfumée). Il n’y avait pas de cloison intérieure, les couples dormaient ensemble, les autres membres de la famille étaient groupés séparément par sexe. Les maisons étaient parfois édifiées sur une terrasse pavée et le plus souvent sur pilotis à 1,2 mètre du sol près des rivières et de la mer pour se garder de l’humidité.

Dans et autour du fare, selon Cook, on trouvait autour de la maison des plantes odoriférantes, des cocotiers et des ‘uru. Le mobilier se résumait à des pe¯’ue (nattes), des paniers et tambours suspendus, un ‘umete (plat en bois ), un turu’a (repose-tête), de la vaisselle en terre importée par les premiers Européens que l’on pouvait mettre sur le feu, des statues en bois de 1 mètre de haut aux 4 coins de la maison, un ‘iri (siège en bois), ou un pa¯rahira’a ‘o¯fa’i (banc de pierre), réservé au chef de la maison.

Après l’arrivée des Européens dans les années 1820, les missionnaires influencèrent l’agencement intérieur et extérieur des maisons, en ayant recours aux matériaux de construction, et techniques européens, moins gracieux, moins ornés, moins soignés que jadis.

A contrario, que les Tahitiens ont «contribué» à la construction d’édifices (églises, maisons de pasteur) d’apparence beaucoup trop considérables, trop soignés.

En effet, les églises et les temples sont immenses et fabriqués en bois nobles (tamanu- Callophyllum inophyllum, ‘uru – Artocarpus altilis).

De nos jours, les districts ne se rendant pas compte de la valeur de ce patrimoine ont parfois préféré raser la vieille église en bois ou corail et en reconstruire une moderne en béton, évitant ainsi un entretien parfois complexe. Heureusement, cela ne concerne pas tous les édifices ! Les cathédrales Notre-Dame de Pape’ete (1875) et Saint Michel de Rikitea (1839) ont ainsi été sauvegardées et restaurées.

VERS L’URBANISATION

L’urbanisation et la modernisation ont progressivement incité la population à délaisser leurs habitats traditionnels. Vers 1920, l’essor des exploitants de vanille leur permet de s’offrir des maisons de style européen appelées fare vanira, «maison vanille».

Les murs et les cloisons sont en bois rouge importé d’Amérique, le toit en tôles est presque plat, un couloir et une terrasse ornée de balustrades et de baies vitrées à petits carreaux la caractérisent.

Dans un tout autre style et après avoir essuyé deux cyclones entre 1982 et 1983, l’administration de Polynésie française a élaboré en 1983 un modèle-type de maison anti-cyclonique, en bois importé, contre-plaqué et tôles que la population s’est largement appropriée : le fare MTR (Mission territoriale de la reconstruction).

La pente est suffisamment prononcée – pas autant que celle du fare ni¯’au mais plus que celle des maisons en dur modernes – pour mieux résister aux vents violents, tout en étant facile à construire et d’un coût de revient particulièrement bas.

Dans les années 1990, le fare de béton, parpaings et toit de tôles presque plat avec terrasse et balustres en ciment, a connu un effet de mode, transformant l’habitat en serre surchauffée, et ce, pour un coût plus élevé dans les îles qui font acheminer tous les matériaux importés (d’Europe, Asie, Amérique) par goélette, depuis Tahiti.

Adapté au climat et se fondant parfaitement dans l’environnement, le fare polynésien traditionnel a pourtant largement disparu. Les causes de cette raréfaction ? Le temps de préparation et le coût des matériaux de construction locaux, mais aussi leur fragilité : un toit en pandanus se change tous les 7 ans en moyenne, en nï’au tous les 5 ans, sans compter le risque d’incendie.

Certains grands projets architecturaux de la ville de Pape’ete (Assemblée ou Maison de la Culture par exemple) ont réussi le pari de constructions contemporaines rappelant les édifices d’autrefois. Aujourd’hui, seuls les hôtels, quelques pensions et une poignée de privilégiés continuent de construire des fare traditionnels recouverts de feuilles de pandanus.

UNE POSSIBLE REHABILITATION ?

Habiter en Polynésie française demeure un privilège, même si la société y est aussi dure qu’ailleurs. La douceur du climat, la beauté des paysages et la force de la culture, dans laquelle réside le talent traditionnel des hommes à modeler le territoire, font du ‘äi’a (terre natale) un lieu unique et incomparable.

Beaucoup des changements des deux siècles derniers, ceux de la colonisation, de l’implantation du C.E.P. (Centre d’Expérimentation du Pacifique), des systèmes politiques et économiques ont cassé un équilibre fragile longtemps tenu par les habitants.

Aujourd’hui, l’occupation agressive du territoire, les paysages abandonnés, l’environnement souillé par les déchets urbains se rencontrent couramment dans toute la Polynésie.

Retrouver la sagesse de nos prédécesseurs, leur logique de préservation de l’environnement et leur façon de faire pour l’adapter aux réalités du 21ème siècle nous permettrait peut-être de retrouver un peu de cet équilibre perdu.

Auteur de l’article : Mickael Cantello

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