L’Habitat ailleurs: L’Albanie

L’architecture vernaculaire occupe une place particulière dans le patrimoine culturel albanais, en raison de la large expansion qu’elle a sur l’ensemble du territoire. La typologie la plus répandue est celle des habitations résidentielles, mais il existe cependant quelques exemples d’édifices religieux définis comme vernaculaires ou ruraux. Ces habitations ont été construites autour du XVe siècle, mais au cours du XVIIIe siècle, elles atteignent leur complète définition typologique, et leur construction se poursuit jusqu’au début du XIXe siècle.

Elles sont caractérisées par des éléments typiques de la tradition locale, entrelacés avec des éléments hérités de la domination ottomane qui a duré cinq siècles en Albanie, du XVe siècle jusqu’à la chute de l’empire. L’intérêt pour le patrimoine vernaculaire et la reconnaissance de sa valeur historique et artistique a perduré au cours des siècles, en fait jusqu’au XVIIe siècle il a fait l’objet de nombreux ouvrages de chroniqueurs et voyageurs de l’époque.

Au cours des années 30, sous le protectorat italien, des plans de régulation ont été élaborés pour de nombreuses villes. Souvent, ces plans n’étaient que des esquisses, mais montraient une grande sensibilité envers le patrimoine existant, la vocation locale et l’intention incontestée de préserver le centre ancien dans toutes les villes.

Ces études ont été les prémices des actions concrètes qui ont suivi après la Seconde Guerre mondiale. La prise de conscience de la valeur historique et artistique du vieux centre-ville, et les progrès de la décomposition ont conduit à une série de politiques de protection et de conservation matérialisées par des campagnes d’études et de recherches. Mais aussi par des décrets législatifs. En 1959, un décret a été publié déclarant «villes-musées» les centres de Durres, Berat, Gjirokastra et Kruja. Grâce à cette mesure, le premier pas vers une gestion étatique du patrimoine historique et artistique a été accompli, qualifiant et sauvegardant les maisons d’habitation comme « monuments culturels ».

Le développement urbain vernaculaire

L’architecture domestique vernaculaire est présente à la fois dans le contexte des zones rurales et urbaines. De nombreuses études ont démontré que la maison urbaine est l’évolution de la maison rurale, qui est souvent composée d’une seule pièce, « la cellule de base ». Les plus anciennes villes médiévales du pays montrent des signes évidents de l’influence de la domination ottomane en Albanie. À l’intérieur des murs défensifs, se trouve des exemples de maisons plus anciennes, et cet espace peut être défini comme le premier quartier de l’antonomasie. Lorsque l’espace à l’intérieur des murs n’est plus suffisant, on voit surgir les premiers quartiers à l’extérieur des murs, connus dans les Balkans sous le nom de « varosh ».

Ce phénomène donne vie à la création de villes ouvertes, bien qu’il ne se produise pas simultanément dans tous les centres albanais, car il est lié aux conditions socio-économiques spécifiques de chacun. Pourtant, presque toutes les villes albanaises entre les XIVe et XVe siècles ont développé une zone urbanisée hors de leurs murs. Les habitations des familles les plus riches étaient construites sur un terrain plus plat, avec un meilleur éclairage, une meilleure ventilation, et de petits jardins entourant la maison. Les classes les plus pauvres, étaient forcées de construire le long des crêtes des maisons surpeuplées, et peu ou pas du tout éclairées par le soleil. De cette manière, la différenciation commence à se former entre les quartiers, entre les croyances religieuses. Typiquement, ceux qui maintenaient l’ancienne religion (le christianisme), étaient relégués dans des zones moins propices, aux terrains escarpés, ou peu exposés au soleil.

L’évolution de l’espace intérieur

La cellule de base de l’habitation en Albanie est représentée par ce que l’on nomme « salle du feu « .  Son évolution donne naissance à tous les types de logements existant en Albanie aujourd’hui. Elle était polyfonctionnelle et répondait à tous les besoins en matière de logement. Le foyer était placé au centre de la pièce, sans plafond, pour véhiculer la fumée vers le toit.

Les seuls éléments d’ameublement de la pièce étaient des armoires et des niches encastrées dans la maçonnerie. La première phase d’évolution de la «salle du feu» se situe après l’adoption de la cheminée. Cela a conduit au déplacement du foyer du centre de la pièce vers l’un des murs extérieurs, et à recouvrir la pièce d’un plafond en bois, qui sera décoré plus tard de motifs géométriques et floraux. A ce stade du processus d’évolution, se rapporte également l’utilisation des systèmes muraux typiques: La « musandra », placée à l’entrée de la pièce, était un placard pour le rangement des couvertures. Au-dessus de la «musandra» se trouvait le «mafil», accessible par un petit escalier en bois. Cet espace donnait sur la pièce, il était ouvert ou masqué par des grilles. Il était réservé aux femmes et aux enfants pour manger et se reposer sans être vu par les hommes.

Il y avait donc deux unités superposées avec des fonctions différentes, mais qui formaient un seul organisme. Ensuite, le « qoshkë », qui signifie coin, a été introduit. Il s’agissait d’un espace très éclairé, surélevé de quelques centimètres, et situé dans le mur opposé à celui du « musandra-mafil ». L’ajout de cet espace coïncide avec une mise à jour des techniques de construction par l’adoption de la maçonnerie, en plus des structures à ossature bois. De plus, cette dernière phase a été cruciale dans la transformation de la « salle du feu » en une nouvelle unité de composition de la maison appelée « Oda ».

La « salle du feu » est devenue la cuisine, et le «Oda» était utilisé pour dormir, ou pour les autres activités familiales. Tandis que dans les maisons avec de nombreuses chambres, il était dédié uniquement à l’accueil des invités et aux activités connexes: séjour, banquet et repos nocturne, il était nommé « oda des invités ». Dans les familles très aisées de commerçants et de propriétaires fonciers, il servait également d’étude ou de bureau. Cette pièce, ainsi que les autres pièces de la maison, se trouvait au premier étage ou à l’étage supérieur. Mais jamais au rez-de-chaussée qui était destiné à abriter les animaux ou le stockage des fournitures.

La « salle du feu » représentait l’archétype de la vie dans la tradition albanaise et a subi des transformations morphologiques avec l’ajout de meubles architecturaux aux influences ottomanes. L’introduction de ce mobilier était liée à des moments historiques importants pour la société albanaise. Le plafond décoré, et le noyau « musandra-mafil » étaient inspirés par les intérieurs d’édifices religieux islamiques construits en Albanie à la fin du XVe siècle. Des bâtiments liés à la religion islamique ont été construits dans tous les Balkans dans le but de convertir les gens à l’islam.


Ces dernières transformations datent du milieu du XIXe siècle, et correspondent à la période de déclin de l’Empire ottoman. Après la chute de cet empire, a suivi la période des deux guerres, après quoi en Albanie s’est formé un régime communiste qui durera un demi-siècle (1946 – 1991). Une activité architecturale à long terme consistant à créer un grand nombre de nouveaux logements était destinée à satisfaire les besoins propagandistes de l’État. Sous le régime, beaucoup de progrès ont été réalisés dans tous les domaines. Cependant, l’économie est restée très pauvre, et le niveau de vie très bas. L’expansion urbaine s’est faite par la construction de bâtiments préfabriqués à plusieurs étages, avec des appartements standardisés et fonctionnels. Le patrimoine architectural historique a subi une profonde révision propagandiste.

Ce qui était lié à la tradition locale et populaire a été sauvegardé, tandis que des bâtiments religieux ont été détruits ou convertis en bâtiments d’utilité publique, tels que gymnases, magasins, etc. Le pays vivait également dans une sorte d’autarcie, isolé de l’Europe occidentale et de l’Amérique. Cette combinaison de facteurs a conduit à une révolte populaire qui a fait tomber le régime communiste.

Les sentiments du peuple étaient contrastés, d’une part, il y avait le refus des formes traditionnelles et dictatoriales, de l’autre le désir désespéré de modernité et de prospérité. Cette situation a révélé le manque d’outils de gestion territoriale et urbaine, accompagnée d’une spéculation impudente. Dans les villes, cela s’est traduit par d’innombrables nouveaux bâtiments qui aspirent aux modèles architecturaux des sociétés hyper développées et industrialisées; avec un langage architectural qui essaie d’imiter les « architectures star » internationales.

Alors que dans la campagne, la situation est encore plus dramatique. Chaque propriétaire a construit n’importe où sur la propriété, et de quelque manière que ce soit. Dans ces zones où l’État a cessé d’investir et de promouvoir l’agriculture, la seule ressource est représentée par les routes nationales. Cela a créé un petit intérêt commercial qui a poussé les agriculteurs locaux à construire leur maison près des routes. Par conséquent, le long des axes principaux, on peut voir un continuum de bâtiments. Ces constructions consistent en un ou deux bâtiments familiaux de 2 ou 3 étages bâtis dans des styles architecturaux très différents. Dans ce scénario, on rencontre rarement des paysages agricoles et forestiers, mais seulement des bâtiments bizarres sans qualité architecturale. Cela met en évidence une capacité aiguë à saisir le nouveau et le moderne, souvent influencé par les longues et épuisantes années d’émigration. Mais lorsque les nouvelles tendances ne sont pas fondées sur les bases solides de la tradition, il y a un risque de provoquer la désolation.

Plus de vingt ans après la chute du régime communiste en Albanie, après de nombreux abus dans les modèles architecturaux, ses formes et son langage, on se demande s’il est raisonnable de continuer dans cette direction, ou si le moment n‘est pas venu de penser à  nouveau à un langage qui raconte la tradition, l’histoire et la dynamique du pays, laissant de côté le mauvais goût et l’étrange héritage du monde moderne.

Auteur de l’article : Mickael Cantello

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